Rapports de recherche Année 2020

Recherche

"Le marché" des arts plastiques dans la ville d’Oran: état de lieux MAPVO

Du 01/07/2018

Au 30/06/2021

Chef de projet : HIRRECHE BAGHDAD Mohamed

Membres de l’équipe :

        ABDELOUAHED Hasni

AIT ALLAOUA Kahina

HENNI Fatma

HAMIDA Nassima

 Problématique

Ce nouveau projet de recherche intitulé : « "le marché" de des arts plastiques dans la ville d’Oran à partir des années 2000 : Etat des lieux » s’inscrit dans la continuité des projets de recherche menés au Crasc depuis 2008. La problématique de ces projets portait sur les inscriptions funéraires en Algérie. Ainsi, il y a eu trois projets de recherche : le premier, est un projet établissement intitulé : "Les inscriptions sur les stèles funéraires dans l'ouest algérien : permanence et évolution".[1] Le deuxième, est un projet National de Recherche (PNR) intitulé : «  Les inscriptions funéraires à Ain El Beida à Oran et M’douha à Tizi-ouzou ».[2] Finalement, le troisième est un projet établissement intitulé : "Nécrologie et presse écrite en Algérie : composantes et caractéristiques".[3] Ces recherches étaient menées dans une perspective de rendre compte de l’évolution des inscriptions funéraires (épigraphiques et non épigraphiques) et des textes nécrologiques dans le contexte algérien.

La continuité se justifie par un projet plus large entamé depuis le magistère (2000-2003) et le doctorat (2003-2008) et qui est en relation avec la problématique de l’interprétation de la culture et du patrimoine en occident et en contexte arabo-musulman. Notre objectif est celui d’aborder la culture algérienne à partir de trois angles : la culture populaire (les inscriptions funéraires dans les cimetières), la culture de masse (la nécrologie dans la presse écrite) et la culture savante  (l’exemple des arts plastiques)[4] et cela à partir des concepts de la philosophie notamment celui de la « ruse de la raison »[5] et de l’anthropologie et plus exactement celui des « stratégies de contournement »[6].

Cet avant-projet s’appuie sur une pré-enquête (exploratoire) qui à durée une année et dont nous avons pris des contacts  avec des artistes plasticiens  tels que : Heni Fatima, artiste et enseignante à l’Université de Mostaganem ; Belhachemi Nourdine, artiste et enseignant à l’école régional des beaux-arts d’Oran ; Taleb Mahmoud, artiste autodidacte ; Tahraoui Fayza, artiste et enseignante au CEM Cherfaoui ; Kour Nourdine artiste et enseignant au lycée HIRECHE Mohamed… et avec les acteurs des institutions culturelles (la Direction de la Culture) et les associations (le président de l’association de la civilisation de l’œil, CIV ŒIL, Ali Chaouch). Au cours de cette période, nous avons aussi assisté aux expositions soit au musée Ahmed Zabana ou à la nouvelle galerie d’expositions le MAMO (Musée d’Art Moderne d’Oran[7]) inaugurée le 21 mars 2017. Des discussions et des entretiens étaient réalisés au cours de cette période avec les acteurs (artistes plasticiens, visiteurs et fonctionnaires du MAMO et de la direction de la culture). 

Nous intégrons notre objet de recherche à  partir des politiques culturelles, car l’initiation au goût, à la beauté et au beau est une affaire de toutes les institutions culturelles et éducatives. Il s’agit d’un processus en avale (programmes, actions, enseignements…) qui commence dès le jeune âge afin d’inscrire les valeurs esthétiques dans les mémoires, les imaginaires et les pratiques. Préparer les futurs amateurs d’Art, nécessite sans doute beaucoup de temps. En amont, la continuité est assurée par les « industries culturelles »[8] qui mettent les produits culturels à la disposition des acteurs du « marché de l’art » par des procédés professionnels de formation, de production, de diffusion et de vente. Il s’avère que les industries culturels empruntent aux industries « classiques » les mêmes procédés et logiques : produit, production, commercialisation, diffusion, profit et bénéfices, l’offre et la demande, le marché, la création de la richesse, l’entreprenariat…

Aujourd’hui, la culture et devenu un produit presque comme les autres. Dans le système des industries culturelles, on préserve les droits des auteurs (propriétaires) et les droits des intermédiaires (les entrepreneurs de la culture) et on assure pour le consommateur un produit accessible qui repend à ses besoins et ces attentes. 

Nous visons dans ce projet à présenter un état des lieux et à dévoiler à travers les discours des acteurs eux-mêmes, les procédés et les modes de fonctionnement et de déploiement du marché des arts plastiques en montrant comment il est perçu, imaginé et vécu dans la ville d’Oran depuis les années 2000 jusqu’à ce jour. Néanmoins,  il est possible d’éclairer ce champ de recherche en se penchant sur les périodes précédentes ; et même de procéder à des comparaisons avec d’autres régions en Algérie, et cela afin de donner sens aux pratiques dans des contextes divers. 

 

Nous avons constaté qu’il existe beaucoup de travaux sur les questions abordées dans notre avant-projet et spécialement les travaux occidentaux  (Europe, USA et le Canda).[9] En revanche, les travaux du professeur Hadj Meliani nous semble à l’heure actuelle incontournable pour aborder le champ des arts plastiques en Algérie. A partir de champs voisins comme la littérature, la musique, le théâtre et le cinéma on peut investir le terrain des arts plastiques. Dans ce cas, nous allons emprunter le concept de "géocritique" en vue de distinguer entre l’espace conceptuel (la liberté) et le lieu factuel (fermé).[10] Aussi, la notion d’espaces référentiels de la distinction sociale et culturelle (les musées, les galeries d’arts…) est importante pour éclairer les courants profonds qui poussent les acteurs à  s’investir dans le champ des arts plastiques.

Etat de la littérature : politique (s) culturelle (s)

Les discours sur la politique culturelle en Algérie divergent car si la politique culturelle de l’état ne correspond pas aux  attentes des acteurs de la société civil, ces derniers disent alors qu’il n’est y a pas de politique culture. Au niveau du discours officiel,[11] les missions et la politique culturelle (Annuaire statistique : article 2, p11) est déclinée clairement plus au moins dans les grandes lignes (l’esprit de la politique culturelle) par ceux-ci :

La préservation et la valorisation du patrimoine culturelle ; la préservation et le renforcement de l’identité culturelle nationale ; la préservation de la mémoire collectif nationale ; l’introduction de la dimension culturelle dans l’élaboration des projets architecturaux et les grands équipements publics ; la promotion des arts vivants (arts dramatiques) et les arts de spectacle (arts audio visuelles …).

Et parmi les neuf Directions du Ministère de la Culture, il existe deux directions consacrées aux arts : la direction du développement et de la promotion des arts et la direction de l’organisation et de la diffusion du produit culturel et artistique. Dans l’article 03, les missions de la direction du développement et de la promotion des arts sont de mettre en œuvre une politique national de promotion des arts ; le développement de la créativité artistique et le soutien des artistes.[12]

A contre parti, Mansour Abrous dans son introduction (Annuaire artistique de l’Algérie, 2012) annonce qu’il y a deux projets contradictoires pour la culture en Algérie :

  1. Le projet visant la promotion de la culture à la modernité.
  2. Un projet sans politique culturelle et qu’il qualifie de « projet opportuniste ». Il déclare qu’entre 1960 et 1990 il y avait une politique culturelle étatique centralisé. Entre 1990 et 2000, c’est l’évènementiel et l’occasionnel qui priment sur les actions culturelles. Malgré le quantitatif (les équipements culturels), le qualitatif (l’éducation artistique) est loin d’être satisfaisant. Il y a aujourd’hui une demande de création d’un réseau d’art citoyen autonome en exemple du réseau50.com et du Box 24. En plus, le 17 décembre 2011, les artistes se sont réunis et ils ont signés une pétition où ils revendiquaient la liberté d’expression et la levée de la mainmise de l’état sur le secteur culturel.
  3. Abrous constate aussi l’émergence d’une politique culturelle diplomatique influente par les ambassades en Algérie (USA, l’union européenne…), il s’agit par exemple du groupe EUNIC (European Union National Institutes for Culture) crée en 2006 par l’union européenne. Ce dernier, a organisé en 2011 une exposition intitulée : « Alger : regards croisées». Une année après (2012), il organise un concours de dessin au profit des étudiants de l’école supérieure des arts plastiques d’Alger. Par contre, la diplomatie Algérienne à l’étranger développe (selon lui) une politique du silence et de l’absence.[13]

 

La notion d’industrie (s) culturelle (s) a été initiée en 1947 par Adorno et Max Horkheimer dans leur ouvrage intitulé : « Dialectique de la raison ». Dans cet ouvrage, ils montrent que la diffusion massive (industrielle) de la « culture de masse » nuit à la création comme acte singulier. Le pouvoir (autoritaire ou libéral) tend à uniformiser les modes de vie et on pense échapper dans/par le divertissement au processus de travail, mais c’est dans /par le divertissement que le (s) pouvoir (s) prépare (ent) et discipline (ent) les individus.[14] Les deux penseurs finissent par dire que la culture de masse et les industries culturelles développent les formes d’allégeance au(x) régime(s) politique(s) et à la hiérarchie sociale.[15]

Pour cette raison, les arts plastiques essayent d’échapper à l’emprise du divertissement (les loisirs). Il a été convenu que  pour d’accéder au statut d’œuvres, il faut que ces dernières soient soumises aux regards critiques.[16] Les œuvres relèvent des pratiques insolites et se positionnent à l’encontre des usages et des habitudes. D’autres penseurs tels que Jean Luc Godard posent le problème de la banalisation de l’expression et de son intégration (sa mort comme exception) dans la règle. Il est important ici de faire la distinction entre l’art (l’insolite/l’exception) et la culture (la règle/l’uniformisation).

Alors, il revient aux politiques culturelles de se positionner par rapport à cette problématique : soit elles intègrent les arts plastiques dans la culture (la règle, la banalisation, le divertissement…) ou bien elles préservent la création artistique comme étant une œuvre insolite, exceptionnelle et soumise au regard critique.[17]

A la suite de ce débat, une autre question similaire se pose, c’est celle de l’autonomisation du champ artistique et qui est traité par Pierre Bourdieu dans « Les règles de l’art ». L’auteur insiste sur les notions de dispositions, positions et prise de positions et démontre que l’intériorité du littéraire et le reflet des conditions sociales. Cela revient à dire que l’œuvre littéraire (artistique) est le reflet du monde par une classe sociale. Il critique aussi ceux qui prônent le slogan de : « l’art pour l’art » car leur rentabilité commerciale des artistes est très faible et la rente leurs permet de perdurer dans le champ. Dans ce cas, ou se situe la marge de liberté des artistes ? Pour répondre à cette question, Bridet Guillaume revient à la théorie de la réception de Hans Robert Jauss, car les interprétations du texte (Messages, œuvres…) dépendent du contexte social et culturel de ceux à qui il est destinée, car les récepteurs nourrissent profondément son sens et sa valeur.[18]

Howards  S. Becker développe quant à lui le concept de « réseau » car  les réseaux du pouvoir du monde de l’art déterminent les conditions de production de l’œuvre artistique. Quand l’artiste vie de la vente de ces œuvres, il revient aux intermédiaires de l’art (vendeurs, collectionneurs, les marchands d’art, les commissaires d’expositions…) d’intervenir sur les thèmes et le style de l’artiste.

Dans le système de « mécénat de l’état », l’état commande des œuvres artistiques afin de les exposer/installer dans les espaces publics. Il s’agit ici (selon H. Becker) d’une « relation complexe » entre la richesse, le gout, la science, les systèmes d’aide financier, les artistes et les caractéristiques des œuvres artistiques.[19] Par contre, dans le système de « la nationalisation de l’art », l’état peut avoir le  monopole sur les moyens de production et de diffusion des œuvres et aucun d’elles ne peut voir le jour sans son soutien et son approbation.[20]

Quand l’état s’implique dans les arts, alors les questions suivantes sont à poser concernant:

  1. La centralisation et la décentralisation des actions et du soutien.
  2. La politique de démocratisation de la culturevisant soit la diffusion de la « haute culture » en donnant la priorité à l’éducation artistique ou bien elle se base sur une « acception pluraliste » de la qualité dans les arts et elle soutien tout le monde.[21]

Dans ce système complexe et devant ces divers politiques culturelles, il est important de déterminer quel type de marché d’art existe réellement en Algérie en général et à Oran en particulier ? 

 

 

[1] PE, 2009-2013 (Mohamed HIRRECHE BAGHDAD, chef de projet- Bouchema Elhadi, membre- Lahcen Redouane, membre)

[2] PNR, 2011-2013 ((Mohamed HIRRECHE BAGHDAD, chef de projet- Bouchema Elhadi, membre- Lahcen Redouane, membre).

[3] PE, 2013-2017 (Mohamed HIRRECHE BAGHDAD, chef de projet- Bouchema Elhadi, membre- Lahcen Redouane, membre – Zeouaoui Benkeroume, membre).

[4] Voir : Rita Olivieri-Godet, « Culture savante, industrie culturelle et culture populaire dans la musique, la littérature et le cinéma brésiliens : un dialogue fécond   », Amerika [En ligne], 2 | 2010, mis en ligne le 25 juillet 2010, consulté le 21 mai 2018. URL : http://journals.openedition.org/amerika/1086 ; DOI : 10.4000/amerika.1086

[5] Hegel, La Raison dans l'histoire. Introduction à la philosophie de l'histoire (Die Vernunft in der Geschichte, 1822-1830), trad. UGE, 1965, 311 p.

[6] Voir: Theory of change. A thinking and action approach to navigate in the complexity of social change processes,Iñigo Retolaza Eguren, HIVOS, 2011

[7] http://www.oran-dz.com/culture/musees/musee-d-art-moderne

[8] Voir, Marc Hiver, Adorno et les industries culturelles, Paris, L'Harmattan, 2010

[9] BENHAMOU F., MOUREAU N., SAGOT-DUVAUROUX D. (2001), les Galeries d’art contemporain en France, Portrait et enjeux dans un marché mondialisé, Ministère de la Culture et de la Communication, Paris, La Documentation Française.

BECKER, H. (1988), les Mondes de l'art, Flammarion, Paris.

DE VRIES M., MARTIN B., MELIN C., MOUREAU N., SAGOT-DUVAUROUX D.., «Diffusion et valorisation de l’art actuel en région Une étude des agglomérations du Havre, de Lyon, de Montpellier, Nantes et Rouen », Culture Etudes CE-2011-1, Ministère de la Culture et de la Communication.

DE VRIES M., MARTIN B., MELIN C., MOUREAU N., SAGOT-DUVAUROUX D.., « Portrait économique des diffuseurs d’art actuel inscrits à la maison des Artistes », Culture Chiffres CC-2011-1, Ministère de la Culture et de la Communication.

HEINICH N. (1998), Le triple jeu de l’art contemporain, Les Editions de Minuit.

HEINICH N. (1999), Pour en finir avec la querelle de l’art contemporain, Paris, L’Echoppe.

MARTIN B. (2005), l’Évaluation de la qualité sur le marché de l’art contemporain. Le cas des jeunes artistes en voie d’insertion, thèse de Doctorat, Université de Paris X-Nanterre.

MOULIN R. (1992), l’Artiste, l’Institution, le Marché, Paris, Flammarion.

MOUREAU M., SAGOT-DUVAUROUX D. (2010), le Marché de l’art contemporain, Paris, La Découverte, collection « Repères », 2010.

ROUGET B., SAGOT-DUVAUROUX D., (1997), Economie des Arts Plastiques, Une analyse de la médiation, Paris, l’Harmattan, collection Champs Visuels.

 

[10] Voir : Bertrand Westphal, La géocritique. Réel, fiction, espace, Editions de Minuit, 2007.

[11] Annuaire statistique 2001 – 2010, le Ministère de la Culture.

[12] Fait à Alger, le 17 Moharram 1426 correspondant au 26 février 2005.   Ahmed OUYAHIA.

 

[13] Voir : l’introduction de Mansour Abrous, Annuaire artistique de l’Algérie « Arts visuels » 2012. 152p.

[14] Voir : Pierre Belaval, « Une présentation : La dialectique de la raison de Max Horkheimer & Theodor Adorno », Germanica, 8 | 1990, 195-202.

[15] Ibid.

[16] L’absence du regard critique (la critique littéraire et artistique) est un indicateur très important qui montre que nous sommes pas devant une œuvre artistique mais plutôt devant de l’art décoratif ou l’artisanat.

[17] Voir : L’insolite dans l’art, sous la direction de Dominique Berthet. L’Harmattan, 2013.

 

[18] Voir : Bridet Guillaume, « De quelques dérèglements dans Les Règles de l’art », Les Temps Modernes, 2002/2 (n° 618), p. 111-137. P58.

[19] Howards  S. Becker, Les mondes de l’art. Traduit de l’anglais par Jeanne Bouniort. Flammarion 1988. Présentation : Pierre Michel Menger. P 123.

[20]Ibid. P 125. 

 

[21] Ibid. P 199.

 

 

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